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16 mai 1996 4 16 /05 /mai /1996 12:08
        

    Edgar MORIN nous explique, dans son ‘Introduction à la pensée complexe’ (ESF 1990, p.44), que l’auto-organisation de l’organisme se caractérise par la destruction des cellules (entropie) ‘‘mais, de façon inséparable, il y a le phénomène de réorganisation (néguentropie). (…) Le lien entre vie et mort est beaucoup plus étroit, profond, qu’on n’a jamais pu métaphysiquement l’imaginer’’.

            Il semble que dans tout système auto-organisé, l’intégrité et la pérennité du système lui-même soient liées à celles de ses éléments, et réciproquement : chaque élément, chaque organe ou cellule ne vivent que dans la mesure où ils contribuent à la survie du système, de l’organisme. L’existence éphémère de chaque cellule a autant d’importance pour la vie que l’existence, plus durable, de l’organisme. Et la cellule le ‘‘sait’’ dans la mesure où sa raison d’être est bien de permettre au système de vivre, mais le système le ‘‘sait’’ aussi : s’il n’assure plus son rôle de protection auprès de ses cellules (surmenage…), celles-ci dépériront, et il en subira les conséquences.
 
            Ainsi, dès qu’un groupe de cellules est en déperdition, l’organisme se mobilise pour les réhabiliter. À aucun moment il ne les abandonne à leur perte, sauf lorsqu’il y est contraint et qu’il ne peut y faire face, par exemple en cas de maladies incurables.
Notre culture occidentale semble avoir oublié en grande partie, (si elle en a jamais pris conscience !), cette nécessaire réciprocité.
Nos systèmes politiques ont totalement occulté ce principe auto-organisateur - débouchant irrémédiablement sur un système auto-destructeur : lorsque des individus sont en déperdition (les trois-quarts du globe au minimum), le pouvoir politique ne se mobilise pas, c’est le moins qu’on puisse dire, pour les réhabiliter. Il les abandonne constamment à leur sort en laissant délibérément s’accroître les écarts de richesse. Aujourd’hui le système politique ne ‘‘sait’’ plus que s’il n’assure pas son rôle de protection auprès de ses administrés, ceux-ci dépériront et qu’il en subira les conséquences. La même phrase, transposée sur le plan économique, reste vraie : le système économique ne sait pas que s’il ne protège pas les consommateurs, tous les consommateurs, donc tout le monde, il en subira les conséquences.
            Cette espèce de déshumanisation vient probablement du fait que des personnes n’étant pas en règle administrativement sont jugées nuisibles au système politique. Pour l’administration, les individus sont d’abord des ‘‘administrés’’ – ou n’existent pas. Et économiquement, seuls existent les ‘‘consommateurs’’. Les non-consommateurs, non solvables, sont ignorés, inintéressants d’un point de vue économique. Pire, l’économique, à aucun moment, ne se préoccupe de l’étape précédant la consommation : l’appropriation de richesse, qui donne accès au pouvoir d’achat. Le seul mot qui pourrait faire miroir au mot ‘‘consommateur’’, pour désigner non pas celui qui dépense mais celui qui gagne sa vie, qui reçoit de l’argent, c’est le mot ’’travailleur’’. Il sonne de manière ridiculissime comparé au noble ‘‘consommateur ’’. On pourrait aussi avancer les mots ‘‘RMIste’’, ou ‘‘chômeur’’. Toujours pas à la hauteur.
Politiquement et économiquement, l’être humain n’est pas perçu comme tel : il est tantôt ‘‘administré’’, tantôt ‘‘consommateur’’. Et si par malheur pour lui il ne l’est pas, il devient la lie, le reclus, le nuisible par qui tous les maux arrivent, non seulement les siens – bien fait pour lui – mais les nôtres.

           Les déchéances individuelles ont effectivement des répercutions sur la collectivité. À l’inverse, une communauté solidaire est une communauté solide. La solidité d’une chaîne est égale à la résistance de son maillon le plus faible. Mais là où il y a erreur de bon sens, c’est quand on croît que chacun est seul responsable de lui-même et que la société n’est pas responsable de ses membres. Et lorsque l’abandon est sans appel, RMIste en fin de droit, SDF, clochardisation, quart-mondisme, tiers-mondisme, l’erreur est de croire qu’il n’y a pas d’effet retour sur la société. Comme si la société qui se porte bien et celle qui se porte mal pouvaient cohabiter dans une mutuelle ignorance. Comme s’il ne s’agissait que d’une évolution du système et qu’il n’y avait pas péril en la demeure. Or il y a péril.
Nous sommes bien dans un système auto-destructeur. Mais cette destruction n’est pas marquée par un grand jour, elle est en cours depuis bien longtemps.
Tant que nous laisserons les fractions au pouvoir (politiques comme économiques) se situer comme étant au-dessus des autres, tant qu’ils seront convaincus que leur bien-être peut être assuré en ignorant celui de milliers d’autres individus, tant que nous les laisserons raisonner non pas en tant que représentants d’un système (la terre), mais en tant que représentants d’eux-mêmes, en conflit avec les autres – eux-mêmes pouvant être leur famille, leur clocher, leur parti politique, leur patrie, leur continent ou leur hémisphère – alors nous serons dans une logique d’autodestruction – et nous aurons voté pour une telle logique.
Nous sommes tous représentants d’un pouvoir.
La citoyenneté consiste à nous demander au service de qui, ou de quoi, nous mettons notre pouvoir. Au service de l’autodestruction ou à celui de l’auto-organisation ? Au service du pillage et de la société de gaspillage, ce court terme individualiste qui repose sur une vie d’homme, sur l’accumulation maximale de richesses, ou sur cette auto-éco-organisation dont nous parle Edgar Morin, qui assure le long terme, si proche de ces ‘‘Voies indiennes’’ qui fondaient leur système en prévision du bien-être des sept générations à venir…jusqu’à l’arrivée de l’homme blanc ?!
Scénario naïf : si la fraction minoritaire la plus riche de la population, celle qui détient 80% des richesses, décidait d’en redistribuer presque la moitié aux autres, quel serait le résultat ? Les ‘‘riches’’ ont fait fortune, forcément, sur le dos des pauvres. Les circulations monétaires qui ont engendré ces inégalités restant en place, l’argent continuera à tomber dans la poche des plus riches qui à terme se referont leur fortune. Et les inégalités s’aggravent.
Dans la même logique les politiques sociales se financent sur les classes moyennes – qui s’appauvrissent elles aussi – et la tête du champignon continue de s’enrichir – sur le dos des classes moyennes et des pauvres.
Appelons ‘‘champignon monétaire’’ ce phénomène qui draine l’argent des consommateurs vers quelques aspirateurs aux fortunes colossales. Il faut, d’une manière ou d’une autre, couper en partie la tête du champignon pour la reverser à son pied.
L’impôt sur les grosses fortunes n’est pas suffisant pour enrayer ce phénomène d’aspiration et d’appauvrissement, et c’est en amont qu’il faut agir.
Tant que la structure des circulations monétaires qui forment ce champignon ne sera pas transformée, la précarité augmentera, chômage ou pas. Et cette transformation doit enrayer ce déplacement des champignons vers les pays où la main d’œuvre est ‘‘payée’’ une misère, ces pays sur lesquels nous n’avons aujourd’hui encore aucun pouvoir, pour au contraire harmoniser progressivement les coûts de main d’œuvre.

1er-16 mai 1996


                                source icônographique : http://fr.treknature.com/gallery/photo98565.htm
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