Réponse au commentaire de JB, à la suite de Après Coline - 10 avril 2010
Rappel du commentaire daté du 3 mai 2010 :
J'ai vu le film hier soir à Fécamp. (...)
Pour le dernier point, l'opposition intello-manuel, il y a dans le film la réflexion du voisin de M. Debrosse, vers la fin, celui qui veut imposer 15% de cultures vivrières aux beausserons : la modernité de demain sera d'être mécanicien et paysan, électricien et paysan. Si on y réfléchit deux seconde, cela implique un exode urbain.
Quoique... Debrosse était présent à la projection. Au cours de la discussion qui a suivi, il a évoqué le cas du Cuba, premier pays entièrement bio, par la force des choses, et autosuffisant. Plus étonnant encore, la ville de la Havanne est excédentaire. Cela implique la participation de chaque citoyen, et de consacrer le moindre coin de sol de la ville à la culture vivrière... C'est un cas très particulier, pas franchement démocratique, une simplicité atteinte de façon pas franchement volontaire, mais il a l'avantage de prouver que c'est possible, pour une grande ville et pour tout un pays.
Te semble-t-il impossible de penser global, dès que l'on commence à agir local ? Dès lors que l'on renonce à l'idée d'un "grand soir", je ne vois pas comment faire autrement. Mais c'est sûr, il faut agir en pensant au "coups suivants", comme aux échecs, et c'est jamais facile.
Bien sincèrement,
JB
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Je réponds enfin (7 mai) à ton commentaire, JB.
Pour l'exode urbain (je viendrai plus loin sur le cas très particulier de La Havane), un argument évident me force à penser qu'on y viendra forcément (une fois de plus il ne faut qu'organiser et accélérer des changements qui sont, quoiqu'on fasse, inéluctables) : la ville repose sur une production alimentaire sans main d'oeuvre. Effectivement, si la population et donc la main d'oeuvre est en ville (50% de la population mondiale contre 2% en 1800), elle n'est pas dans la campagne qui, elle, se désertifie.
Or l'agriculture industrielle est condamnée à l'échec à court terme pour plusieurs raisons :
- appauvrissement des sols les rendant dépendants de produits chimiques eux-mêmes fabriqués à base de pétrole. Voir la date d'épuisement des ressources de pétrole : 2050. Voir aussi la date d'explosion des coûts du baril de pétrole : nous y sommes (graphique dans La Décroissance d'avril 2010) ;
- coûts de fonctionnement des tracteurs progressivement prohibitifs pour les mêmes raisons ;
- échecs pour causes multiples des cultures OGM (voir par exemple le film Solutions locales pour désordres globaux) débouchant sur des famines puisque laissant derrière elles des terres incultes et des campagnes dépourvues de bras. Voir et signer www.ogm-jedisnon.org ;
- explosion des coûts de transports (au pétrole) de l'alimentation industrielle mondialisée.
J'en oublie sûrement.
Au fur et à mesure que cette agriculture délocalisée (les porcs en Bretagne, les céréales en Beauce etc.) et industrielle montrera des signes d'inefficacité et d'explosion de ses coûts, la culture vivrière deviendra en même temps plus rentable et plus nécessaire : plus vitale.
Ce raisonnement ne vaut pas uniquement pour l'alimentaire : les autres secteurs de consommation seront concernés. Le développement des filières courtes sera, de manière accélérée, et très bientôt, nécessaire pour tous les secteurs économiques. Ainsi que le développement de la « défossilisation » : ré instaurer des processus de fabrication artisanale, sans recours ni au pétrole, ni même au nucléaire deviendra inévitable. Plus tard tant qu'on y sera, ni au gaz, ni au charbon. Eux aussi émetteurs de gaz à effet de serre. Eux aussi en réserves limitées. Eux aussi sources d'exploitation de l'homme par l'homme et de déshumanisation.
La Havane : j'ai été voir de plus près. 2,4 millions d'habitants, plus de 3,7 millions pour l'agglomération. Densité : 3 329,1 hab./km².
Quid de Paris ? 20 807 hab./km² ! Environ 6 fois plus peuplée.
Mexico ? 3 584 hab/km² mais pour 8,7 millions h'habitants.
New-York ? 10 292 hab./km².
Ou Calcutta ? 24 760 hab./km2 !
Sans commentaire.
Chacun peut chercher la densité de sa grand ville la plus proche pour se faire une idée. Par exemple, Rouen a une densité de population de 5 078 hab./km², Evreux de 1 947 hab./km², Bernay de 434 hab./km² !
Ici nos propos ne concernent que le secteur alimentaire, et les habitants de La Havane sont pauvres et consomment peu. Ce n'est pas le même cas de figure des français ni des occidentaux en général !
Je te propose, Jean-Baptiste, de raisonner comme suit : comment feront les bernayens (habitants de Bernay) pour assumer leur souveraineté économique tous secteurs confondus ? Alimentaire et autres. Soit parce qu'ils auront anticipé, soit parce qu'ils seront confrontés à l'épuisement des ressources fossiles qui mettra fin à l'économie mondialisée telle que nous la connaissons aujourd'hui. Ce sera un retour à l'avant révolution industrielle. Un siècle et demie en arrière. Mais pas un retour linéaire (voir
http://gorgerouge.over-blog.com/article-energies-libres-moyen-age-et-avenir-45511107.html ).
Après l'exode urbain et la réapparition des filières courtes, j'attaque le dernier point de ton commentaire : le côté « pas franchement démocratique » de Cuba.
Je fais l'hypothèse (et au fond de moi j'en suis persuadé) que si les citoyens que nous sommes sont suffisamment informés, en référence par exemple aux conférences de citoyens chères à Jacques Testard dans La Décroissance et sur son blog - http://jacques.testart.free.fr , les bonnes solutions d'avenir, celles qui sont implicitement rassemblées sous le vocable « décroissance », s'imposeront d'elles mêmes, c'est à dire collectivement et à l'issue de débats vraiment démocratiques.
Ceux qui entendront ici qu'un débat démocratique puisse arriver aux mêmes conclusions qu'un régime dictatorial tel que celui de Fidel Castro seront désarçonnés. Mais c'est le résultat d'une des grandes escroqueries intellectuelles de la pensée occidentale. Fidel a tort dans sa communication de dictateur (j'admets ici le postulat qu'il est un dictateur pour aider ma démonstration, ce qui n'est pas forcément mon intime conviction), il a tort donc dans la forme de son message, mais pas dans le contenu de son message qui prône un mode de vie écologiquement vivable et en tout cas bien plus vivable que le nôtre, à nous occidentaux ! Or on confond sans cesse les deux. Si on les sépare, il devient compréhensible qu'une décision démocratique et éclairée puisse aboutir aux mêmes résultats que ceux mis en place à Cuba.
Ce qui signifie par ailleurs que notre système de vote à l'occidentale est peut-être démocratique mais sûrement pas éclairé.
(photos de La Havane trouvées sur flickr ; aucune sur les 655 n'illuste "le moindre coin de sol consacré à la culture vivrière".)
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19 mai 2010 :
ce « billet » (c’est comme ça apparemment que les blogueurs intitulent leurs textes !) a donné suite à une correspondance avec JB. Extraits remaniés.
(..) sur la permaculture tu peux consulter
http://villesentransition.net/transition/pages/a-z/permaculture
trouvé sur
http://villesentransition.net/transition/recherche/ > j'ai entré permaculture.
La ferme du Bec Hellouin est très branchée permaculture, ceci depuis environ une saison, et ils ont déjà des résultats étonnants.
http://www.fermedubec.com/
ça vaut le coup d'aller les rencontrer, en priorité un lundi après-midi (…)
Quant à moi, lecteur assidu du Sarkophage, cette lecture m'a aidé à comprendre que les SEL – Systèmes d’Echange Locaux -, comme tout engagement personnel tel que l'implication dans un écovilllage (j'ai été correspondant régional Haute-Normandie des éco-villages de 1999 jusqu'à l'épuisement du réseau 3 ou 4 ans plus tard mais il reste la revue Passerelle-éco) nous font passer à côté de la dimension collective du problème. Un SEL ne change rien de fondamental au mode de vie des gens, et il se situe une fois de plus dans le "tout changer pour que rien ne change". (Voir après Coline )
Mes plus grands espoirs aujourd'hui sont dans mes tentatives d'impulser des actions là où j’habite et où je travaille ; tantôt auprès des élus et techniciens, y compris professionnellement (je bosse à feu Jeunesse et Sports, désormais Cohésion Sociale, avec une mission emploi-formation dans laquelle l’ESS – Economie Sociale et Solidaire – trouve sa légitimité), tantôt au contact d'un collectif d'habitants. Si les mayonnaise prend, il sera temps alors de nous informer sur et de nous impliquer collectivement dans la permaculture et autres chantiers. Mais sans cette reprise en main de leur quotidien et de leur avenir par les habitants, à mon sens tout reste vain car tout reste dans une manière de voir et d'appréhender les choses qui relève de l'individualisme. Un individualisme généreux sans doute, mais un individualisme tout de même, au sens de l'échelle d'action. (Voir encore après Coline )
Par contre, un SEL peut être une marche, un moyen pour aller là où je viens de te l'indiquer, mais hélas les "SEListes" eux-mêmes, comme de nombreux écologistes que je fréquente, se contentent bien souvent de leurs petites actions parcellaires et freinent des quatre fers pour aller sur le terrain politique tel que je viens de te l'exposer. Je veux dire qu'ils sont, là encore, viscéralement dans le "tout changer pour que rien ne change". Lire Alain Accardo : "Le petit bourgeois gentilhomme". Ma toute dernière lecture. Accardo écrit une rubrique dans La Décroissance et appartient au collectif d'auteurs du PLan B, ultime n° daté de mai juin 2010, en kiosque.
Bien à toi,
Robin